C'est la perspective d'une expédition plus isolée sur le Río San Juan, aux confins du Nicaragua, qui nous avait fait abandonner celle sur le Río Dulce, au Guatemala une dizaine de jours plus tôt.
Alors suite à l'échec de notre visite au volcan Masaya, nous nous sommes lancés dans le contournement de l'immense lac Nicaragua par l'est pour rejoindre San Carlos complètement à l'opposé.
Le Río San Juan débute ici et déverse les eaux du lac jusqu'à la Mer des Caraïbes, en serpentant sur près de 200 kilomètres à travers des zones quasi inaccessibles de jungle et de marais, dont la réserve d'Indio Maíz qui n'est rien de moins que le plus grand espace naturel de toute l'Amérique Centrale.
Il faut la journée pour la route. Elle n'est pas fabuleuse, sans point de vue, la première partie dans les collines puis ensuite à travers les plaines du sud du pays, et les villages sont de plus en plus espacés.
Ce n'est qu'une fois à San Carlos que l'on découvre le lac Nicaragua, pourtant longé à seulement quelques kilomètres dans les terres depuis le matin !
À l'horizon, on devine les volcans du nord du Costa Rica (l'Orosí au centre et sans doute le Rincón de la Vieja à gauche).
Et devant, l'archipel des Solentiname, des îles isolées où environ un millier d'habitants vivent tranquillement coupés du monde. Il est possible de s'y rendre en quelques heures de lancha et il y a une poignée d'hébergements pour les rares visiteurs...
Circuler dans San Carlos en camping-car, c'est un défi !
Que des rues étroites, encombrées et à sens unique juste assez larges pour nous, qui se coupent à angle droit : lorsqu'il faut tourner, c'est l'angoisse et une bonne dose de manœuvres assurée. Pour corser encore l'affaire, les balcons aux premiers étages des maisons sont pile à hauteur assassine pour notre capucine...
Dans ces conditions, on considère comme un exploit d'avoir pu s'arrêter au port des lanchas qui descendent le Río San Juan, pour glaner quelques infos - en tentant au passage d'obtenir l'autorisation de passer la nuit sur le quai - puis d'avoir finalement déniché un petit hôtel, qui accepte que l'on campe sur son terrain : le
Cabinas Leykos.
Le camping-car passe le portail au millimètre et il faut s'y reprendre à dix fois pour l'aligner bien en face (c'est situé au bout d'une ruelle dans le village).
Mais le coin est calme, et on est tout au bord du lac !
Compris dans le tarif de quelques dollars par nuit : les douches chaudes et le wi-fi de l'hôtel de l'autre côté de la rue, un gardiennage de deux ou trois jours à moitié prix le temps de notre virée prévue sur le Río San Juan, et un super spot pour les couchers de soleil...
La suite c'est donc de descendre le Río San Juan depuis San Carlos, jusqu'à El Castillo. À peu près le quart du périple jusqu'à San Juan De Nicaragua (San Juan del Norte) à l'embouchure du fleuve, sur la côte Caraïbe.
Moyen de transport unique : la
panga, une longue pirogue à moteur - avec sièges - qui accueille environ 25 personnes.
Il y en a 5 ou 6 par jour qui font le trajet jusqu'à El Castillo, en 2h30 à 3h pour les
rápidas ou en 4h et plus pour les
lentas qui s'arrêtent n'importe où, dès lors que quelqu'un fait signe sur la rive ou veut descendre du bateau. La différence de tarif est infime entre les deux (le trajet par personne coûte entre 120 et 150 cordobas, soit entre 3€50 et 4€, les enfants assis payent).
Pas de réservation, l'accès à la pirogue se fait par ordre d'arrivée (sur le quai, il y a un gars avec une liste papier sur laquelle il faut s'inscrire pour le prochain départ).
Pour la première panga de la matinée quittant San Carlos à 8h00, il vaut mieux être sur le quai 30 minutes à l'avance.
On part pour 3 ou 4 jours, avec le minimum dans nos sacs à dos. Et une fois passé le pont qui enjambe le Río San Juan à quelques kilomètres de San Carlos (la seule route qui rejoint le Costa Rica dans cette partie du pays), la civilisation s'éloigne !
Sur le fleuve, on croise déjà énormément d'oiseaux, de tortues, de singes hurleurs dans les arbres sur les rives...
Et la réserve d'Indio Maíz est encore loin, en aval d'El Castillo !
Enfin le village d'El Castillo finit par apparaître, alors que le dos et les genoux commencent à souffrir de mauvaises positions, l'embarcation s'étant remplie bien au-delà du nombre de places assises (et sans doute de gilets de sauvetage) au fil de la navigation avec les passagers et les marchandises montés à bord.
Car pirogue
rápida ou pas, quand le pilote aperçoit une connaissance qui fait signe sur la rive, il s'arrête...
Première mission : trouver un hébergement au village. Ou plutôt les comparer, car finalement il y en a un certain nombre...
Quelques visites et négociations plus tard, on s'installe à la
Posada del Río, un resto avec deux ou trois chambres à l'étage, situé au bout du village tout à côté du poste de douane nicaraguayen qui contrôle le fleuve.
La frontière avec le Costa Rica se trouve à moins de 10 kilomètres dans les terres, et un peu après El Castillo c'est le Río San Juan lui-même qui marque la limite entre les deux pays.
On paye 25 dollars la chambre climatisée pour trois, avec salle de bains.
Un prix qui peut paraître raisonnable, mais c'est pourtant assez élevé vis-à-vis des standards au Nicaragua. Les hamacs sur le balcon devant le fleuve ont constitué un argument décisif !
Le petit-déj inclus, avec les traditionnels bols de riz épicé et de frijoles pour accompagner le café, a un peu moins pesé dans la balance...
Il n'y a pas de voitures, le village n'étant accessible qu'en bateau. Des petites rues pavées ou en terre, quelques carrioles tirées par des chevaux : la vie est assez tranquille à El Castillo...
Le fort en haut de la colline surveille le Río San Juan (construit à l'origine par les conquistadors espagnols pour se protéger d'attaques de pirates par le fleuve).
Il faut payer l'entrée mais le tarif reste symbolique - quelques cordobas à peine - et la vue est imprenable.
À El Castillo il y a également une petite coopérative de producteurs de cacao, un peu en retrait du village...
Mais ce qui nous attire ici se passe plutôt sur le fleuve !
La faune reptilienne est dense dans le Río San Juan, à commencer par les crocodiles. Alors avec un guide (Juan Ardilla, il n'y en a pas 50 au village, et il est top) on s'est organisés pour une virée nocturne en pirogue...
On remonte un peu le fleuve, Juan se poste à l'avant de la pirogue et son fils tient le moteur à l'arrière, leurs lampes frontales éclairent la berge...
Deux yeux rouges, un bras qui plonge dans l'eau, et on se retrouve avec bébé crocodile dans les mains !
« Mais comment tu savais sa taille avant de l'attraper ? »
Sourire du guide... Mais qui s'est bien fait entailler le doigt au passage, les dents sont encore petites mais déjà affutées comme des rasoirs.
Nouvelle approche furtive un peu plus loin, et cette fois-ci Juan prépare son coup avec davantage de précautions, on n'est plus du tout sur le même calibre de croco et celui-là pourrait embarquer la main en entier.
Un
caimán de anteojos - le caïman à lunettes, l'espèce commune en Amérique Centrale - qui dépasse largement le mètre, et que Juan ne nous laissera pas manipuler (on n'avait rien demandé !)...
On réveille un
basilisco, le magnifique lézard (iguane plus précisément) Jésus-Christ qui a la capacité de courir sur l'eau, et que l'on rencontre dans toute l'Amérique Centrale !
Une super expédition nocturne, plutôt privilégiée puisqu'il n'y a que nous trois avec le guide et son fils (en fait la tarification de Juan est pour le bateau, il demande 40 dollars que l'on soit deux ou dix, et on n'a pas souhaité recruter d'autres participants au village, n'y ayant de toute façon croisé qu'une poignée de voyageurs) !
Alors le lendemain, on repart à nouveau avec eux sur le même modèle, cette fois-ci en descendant le fleuve pour rejoindre la réserve d'Indio Maíz. En quittant El Castillo à l'aube...
Les rapides en face du village, un passage délicat pour les pirogues trop chargées qui transportent les marchandises sur le Río San Juan, en particulier à la remontée.
Nous sommes début mars, la saison des pluies n'a pas commencé et le débit du fleuve reste encore assez modéré, pour nous ça sera à peine une éclaboussure !
La réserve naturelle débute quelques kilomètres en aval d'El Castillo, sur la rive gauche du Río San Juan (sur la rive droite c'est le Costa Rica), et va jusqu'à la Mer des Caraïbes.
En gros sa superficie représente l'équivalent d'un petit département français, quasi vierge de présence humaine.
Rien que de la jungle, des fleuves et des mangroves littorales, sur une surface inégalée en Amérique Centrale. En comparaison le parc national de Tortuguero au Costa Rica, qui protège le même type d'écosystème un peu plus au sud, est dix fois moins étendu.
Des singes hurleurs et des iguanes sont régulièrement aperçus dans les branches...
Et le long des berges, tortues et oiseaux divers pullulent, avec de temps en temps une tête de caïman qui émerge.
Apercevoir un jaguar aurait été exceptionnel, Juan lui-même a eu la chance d'en observer un spécimen sur les bords du Río qu'à une unique occasion...
On complète avec une petite balade sur les sentiers des environs du
refugio Bartola, une enclave privée autour d'un écolodge.
But avoué : dénicher des dendrobates, les petites grenouilles multicolores (et venimeuses !) que l'on ne trouve que du sud du Nicaragua au nord de l'Amazonie...
On a longtemps cru rentrer bredouilles...
Mais s'il y a de l'idée dans leur tenue de camouflage, elles finissent trahies par leurs couleurs un peu trop vives !
Juan nous a expliqué que la toxine qu'elles secrètent sur leur peau était utilisée par les Amérindiens pour empoisonner les pointes de leurs flèches.
Mais qu'on peut les prendre dans le creux de la main sans risque, puisqu'il n'y a pas de pores. Hmmm...
Après une chouette baignade dans une eau étonnament claire, dans un genre de torrent entre les rochers qui s'atteint en remontant un affluent du Río, on rentre à El Castillo.
Juan nous avait embarqué pour une excursion à la demi-journée (80$ pour le bateau, et il propose aussi la journée entière avec pique-nique pour 120$), au final avec un départ avant 7h du matin et un retour après 13h, ça reste une grosse sortie.
On ne peut que le recommander à de futurs voyageurs, c'est quelqu'un de vraiment très sympa, arrangeant, passionné par la faune, et pour qui le fleuve et la jungle ne semblent pas avoir de secret.
Il vit avec sa famille dans une petite maison toute simple au cœur du village, facile à trouver : tout le monde le connait !
Retour à San Carlos le jour suivant, interminable, la
panga s'arrêtant sans cesse pour embarquer ou débarquer quelqu'un le long du fleuve...
Il était temps de retrouver le camping-car, les squatteurs commençaient à roder !
Dernier coucher de soleil sur le lac Nicaragua, avec le panache de cendres d'un volcan costaricien au loin (a priori le Rincón de la Vieja)...
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