Le Costa Rica et sa pura vida nous intriguaient, en mêlant l'attrait de paysages et d'une faune exceptionnels à quelques doutes sur l'authenticité et la tranquillité du pays le plus touristique de toute l'Amérique Centrale.
À force de vadrouiller, on a developpé une certaine confiance dans le fait de « sentir » ou pas une destination en fonction de nos affinités... Mais là, lorsque l'on s'est finalement décidés depuis le Guatemala à rejoindre le Costa Rica, le feeling restait hésitant !
Et l'entrée en matière compliquée dès la frontière n'incite pas à l'allégresse, peu après avoir quitté San Carlos au Nicaragua puis franchi le Río San Juan par le fameux pont Santa Fe construit par les Japonais.
Le douanier costaricien du poste de San Pancho a décidé que nos permis de conduire français ne nous autorisaient pas à être au volant d'un camping-car de notre gabarit (pas davantage que nos permis internationaux, mais ces trucs-là ne nous ont jamais servi nulle part).
Une innovation dans les roublardises douanières en Amérique Centrale, dont nous pensions pourtant avoir fait le tour depuis le Mexique.
Entre les négociations, l'obligation de souscrire une assurance gouvernementale pour circuler dans le pays, l'inspection du véhicule...
Une frontière qui aurait dû être plus simple que les précédentes, et qui s'avère finalement tout aussi usante.
Notre programme prévisionnel : un crochet par La Fortuna au pied du volcan Arenal où l'on doit retrouver des copains en vacances, puis direction l'extrême sud de la côte Caraïbe...
L'autre mauvaise surprise de nos débuts au Costa Rica : le coût de la vie. On s'attendait évidemment à des tarifs plus élevés que dans les pays précédents, mais pas dans de telles proportions !
Nos premières courses en supermarché s'avèrent douloureusement révélatrices : le montant d'un panier de base - essentiellement des produits locaux - s'affiche en caisse entre 3 et 4 fois ce qu'il coûtait au Nicaragua voisin pour des achats similaires...
On finit par rejoindre La Fortuna, très touristique et pour cause : c'est le camp de base pour la visite du parc national du volcan Arenal, qui domine les environs.
Quelques tranches de chorizo douteusement conservées pour toute forme de pique-nique (habituellement on ne fait pas mention de nos repas, mais celui-ci sera lourd de conséquences...) et on retrouve nos potes en famille pour l'après-midi et la soirée.
Au passage les fourneaux de leur hébergement sont mis à profit pour une bonne tournée de
tacos del Patrón, une science culinaire acquise au fil des mois de gastronomie méxicano-guatémalo-honduro-nicaraguayenne !
Puis c'est le drame tant redouté du voyageur : l'infection gastro-intestinale, ou plus trivialement la chiasse carabinée. Et ça va être la pire de notre carrière de routards...
Heureusement Mini-Lapinette passe à travers (elle aime pas le chorizo) et on sera que tous les deux à se tordre de douleur, à faire des poussées de fièvre, et à anéantir nos stocks de riz, de Spasfon et de Tiorfan pendant... dix jours ! Auto-diagnostic : salmonellose.
Dans ces conditions évidemment, la seule priorité est de se poser dans un coin tranquille et d'attendre que ça passe progressivement.
C'est comme ça que l'on échoue sur la côte Caraïbe après deux jours de calvaire au volant, et après avoir jeté un œil pas tout à fait convaincu à Cahuita, Puerto Viejo ou Punta Uva, un peu trop touristiques à notre goût, on s'installe finalement à Manzanillo, le terminus de la route côtière.
Une plage immense et déserte (en dehors des week-ends !)...
Un petit village calme et tout simple, la jungle tout autour, et des possibilités de stationnement le long de la mer où l'on peut installer notre campement les pieds dans le sable !
Ce spot assez paradisiaque, on va y rester une dizaine de jours, sans bouger plus loin que l'épicerie du village qui nous fournit le minimum alimentaire, et surtout nous prête son robinet !
Dans ce coin un peu isolé, c'est un luxe de pouvoir faire de vrais pleins d'eau du camping-car de temps en temps, et du coup d'utiliser notre douche extérieure.
Avec un tel emplacement, évidemment on ne compte pas les allers-retours jusqu'à la mer à 10 mètres de la porte !
Pour ne rien gâcher, le récif de corail à quelques brasses de la plage est particulièrement sympa à explorer en masque-tuba.
C'est la partie maritime du
Refugio Nacional Gandoca-Manzanillo, la réserve naturelle qui protège une bande de forêt totalement vierge débutant au village de Manzanillo, et s'étirant jusqu'à la frontière panaméenne à une dizaine de kilomètres plus loin sur la côte.
Attention tout de même lorsqu'il y a de la houle qui casse sur la barrière extérieure, le lagon se remplit et le trop-plein s'évacue par les passes en créant des courants qui tirent vers le large...
Mais la plupart du temps c'est calme, et on passe pas mal de temps avec les poissons tropicaux, d'autant que la température de l'eau tourne autour de 30°C...
La salle de classe...
Et la cour de récré !
Si en journée quelques visiteurs venus de Puerto Viejo - ou de Punta Uva en vélo, une excursion classique - débarquent à Manzanillo pour découvrir la réserve, les soirées sont très tranquilles et on retrouve vite l'exclusivité de la plage.
En revanche le week-end voit un pic de fréquentation notable, les Costariciens vénérant le barbecue à la plage.
Mais une fois cette animation ponctuelle repartie, on retrouve le calme pour la semaine, et les seuls voisins qui restent sont nettement moins agités...
Manzanillo étant très peu développé (on peut espérer qu'il le reste encore un certain temps, une loi communale interdit les nouvelles constructions) et notre spot de bivouac se trouvant à l'extrémité du village, en bordure de jungle, les paresseux, singes, toucans... vivent en nombre à proximité.
Et les plus téméraires se rencontrent de temps en temps sur le pas de notre porte !
La réserve naturelle toute proche est propice à de multiples balades en forêt, le sentier principal longe la côte mais il y a des traces qui s'enfoncent dans la jungle un peu partout.
On prend des points de repère, et on part explorer !
Premier aperçu de la fabuleuse biodiversité du Costa Rica (un demi-million d’espèces recensées !), au carrefour de la faune nord et sud-américaine.
Contrairement aux autres pays d'Amérique Centrale - mis à part le Bélize - bien moins exemplaires dans la protection de leurs richesses naturelles, un quart du Costa Rica est protégé par des parcs nationaux et des réserves.
La zone protégée de Manzanillo-Gandoca abrite notamment de nombreux toucans.
En ayant croisés quelques-uns au Bélize, au Guatemala, au Honduras... on commence à bien les connaître, et leur vol comme leur cri caractéristiques nous alertent généralement sans erreur.
L'emblématique toucan à carène (son nom français comme son nom anglais,
keel-billed toucan, viennent de la forme de son bec en coque de bateau). En Amérique Centrale on l'appelle
tucán pico arcoiris, littéralement le toucan au bec arc-en-ciel.
Impossible de se lasser de l'observation d'un oiseau aussi spectaculaire (même si notre degré d'adoration baissera un peu par la suite, en assistant au carnage par un couple de toucans du contenu de nids d'autres espèces, éclos ou non) !
L'autre grand toucan que l'on rencontre à Manzanillo comme dans la plupart des forêts de basse altitude du Costa Rica, c'est le toucan de Swainson à l'interminable bec bicolore.
Et enfin les mini-toucans : les araçaris. Particulièrement rigolos lorsqu'ils s'enfuient en courant sur les branches à la manière de poulets, plutôt que de prendre leur envol.
Les cris (trop !) matinaux venant de la jungle jusqu'à notre campement ne laissaient aucun doute : les singes hurleurs sont eux aussi bien présents dans les environs de Manzanillo.
Les balades dans la réserve permettent de les voir de près...
Ils vivent en groupes de moins d'une dizaines d'individus, généralement un mâle et une femelle dominants entourés de quelques jeunes - qui se feront bientôt mettre à la porte - et des petits.
C'est le mâle dominant qui « hurle », principalement pour tenir à distance les autres groupes de singes. Du coup on entend souvent un échange de cris d'un coin à l'autre de la forêt, sachant que le son porte jusqu'à 5 kilomètres...
Au sol, de minuscules dendrobates se laissent parfois apercevoir, comme dans la réserve
Indio Maíz au Nicaragua quelques jours plus tôt.
Elles aussi on les entend avant d'éventuellement les voir, et le moindre sifflement aigu assimilable à un cri de grenouille des tropiques (et n'ayant rien à voir avec un coassement) est l'occasion d'une recherche dans les feuilles alentour.
Et bien sûr, on rencontre dans la réserve de Manzanillo l'animal fétiche du Costa Rica : le paresseux !
Ce sont des paresseux à deux doigts (sur les pattes avant, car sur celles à l'arrière toutes les espèces de paresseux sans exception possèdent trois doigts et ce n'est pas un signe distinctif), que l'on appelle aussi unau.
Les biologistes appellent « paresseux d'Hoffmann » cette espèce vivant au Costa Rica.
Ils sont plus grands que l'autre espèce que l'on peut rencontrer dans le pays, le paresseux à gorge brune (qui lui a trois doigts et un bandeau sombre au niveau des yeux).
Les paresseux restent assez difficiles à discerner à travers la végétation, les jumelles sont quasi indispensables pour inspecter les taches sombres un peu suspectes dans le feuillage des plus hautes branches.
Parce que si l'on compte sur le fait de voir bouger quelque chose, on peut attendre longtemps avant d'en localiser un...
Le paresseux ne descend à terre qu'en une unique occasion : pour se soulager.
En ayant justement croisé un en pleine reptation, il apparaît évident qu'à ce moment-là il devient une cible facile, surtout aux abords des villages où trainent des chiens. L'animal est totalement inadapté pour se déplacer au sol !
Entre forêt tropicale, criques sauvages et récif de corail, la réserve de Gandoca-Manzanillo est une petite pépite, à des années-lumière de la fréquentation des parcs nationaux comme Monteverde ou Manuel Antonio...
Et puis au bout d'une semaine un peu coupés du monde et complètement d'internet, c'est le retour à l'actualité mondiale mouvementée : une connexion dans un bar au village pour commencer à réfléchir à la suite de nos aventures, et l'on découvre que tous les pays d'Amérique Centrale ferment leurs frontières.
Nous sommes à la mi-mars 2020, le coronavirus vient d'atteindre le Costa Rica et les premiers cas sont recensés autour de San José.
Heureusement ce n'est sûrement pas le pire des pays pour se retrouver coincés, déjà d'un point de vue sanitaire et sécuritaire (d'autres voyageurs sur les routes comme nous vont se retrouver dans des situations nettement plus délicates, au Salvador ou au Guatemala par exemple)...
Donc on va temporiser, arrêter de réfléchir à la suite de l'itinéraire qui nous faisait retraverser l'Amérique Centrale vers le nord et reprendre la direction du Québec, à la revente du camping-car... tout ça est devenu d'un coup assez utopique, mais on s'estime bien lotis d'avoir atteint un pays pas trop compliqué comme le Costa Rica au moment où la Terre s'est arrêtée de tourner !
Manzanillo était un coin tranquille encore à l'écart de l'agitation soudaine et des possibles restrictions, mais on pressent tout de même qu'avec la proximité de spots touristiques comme Puerto Viejo et Cahuita, les choses pourraient bien évoluer rapidement.
En particulier concernant la tolérance des autorités vis à vis du camping sauvage...
De l'autre côté du pays, tout au sud de la côte Pacifique, la péninsule d'Osa nous paraît davantage comme le secteur isolé à cibler pour une quiétude prolongée, avec le fabuleux parc du Corcovado et ses alentours comme terrain de jeu infini si la situation devait s'éterniser.
On décide donc d'entamer notre migration, avec une première étape très modeste puisque l'on part se poser dans un camping à Cahuita (
camping Maria juste en bord de mer, avec un genre de piscine naturelle entre les rochers, mais plutôt prévu pour les tentes car pour les véhicules aménagés, il faut se caser sur le petit parking) à 30 kilomètres de Manzanillo.
Au bout du village se trouve le parc national de Cahuita, qui englobe une pointe le long de la côte où se mèlent forêt tropicale et mangrove.
Comme à Manzanillo, un récif de corail à quelques brasses du bord fait lui aussi partie de la zone protégée (la partie marine couvre même 95% de la taille du parc), et ici il est même interdit de se mettre à l'eau sans guide.
Hors de l'eau, le guide n'est pas obligatoire. Le prix de l'entrée dans le parc de Cahuita est sur libre donation.
On débarque - après quelques minutes de vélo depuis le camping - pile à l'ouverture, à 6h00 afin d'éviter les groupes de visiteurs qui arrivent plus tard dans la matinée, devant l'accueil principal (il y a une entrée annexe à l'opposé du parc).
Cahuita est à nous !
Le parc n'est pas immense - à peine 10 km² pour la partie terrestre - avec un unique sentier longeant la côte.
Mais la concentration en animaux y est remarquable, et en faisant l'ouverture nous avons eu deux bonnes heures de tranquillité totale pour les observer.
Des paresseux, évidemment !
Les singes capucins, hyper-actifs aux heures matinales...
Un coati à la pêche aux crabes...
Et des ratons-crabiers, les vrais spécialistes !
Les oiseaux ne sont pas en reste, et toutes les espèces de félins s'avèrent également présentes (ocelot, marguay, puma et même jaguar a priori) mais observées extrêmement rarement en dehors des caméras automatiques posées dans le parc.
Cahuita est réputée pour un serpent jaune vif assez commun, une variété de vipère, mais que nous n'avons pas croisé.
Enfin, s'il y avait un doute sur l'utilité de se lever avant l'aube, voici malheureusement à quoi ressemble le sentier du parc de Cahuita dès le milieu de matinée.
Alors que les vols internationaux commençaient pourtant à être annulés en masse, freinant déjà notablement le tourisme...
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