Bon on va essayer de raconter notre boulot de
woofers au Kamoka...
Et pour ceux qui débarquent ici sans avoir lu l'article précédent sur l'atoll d'Ahe, le Kamoka c'est
une ferme perlière dans les Tuamotu, en Polynésie, qui nous a accueilli pendant quelques semaines pour faire du woofing.
En espérant que ce qui va suivre vous en apprenne un peu au sujet de la production de perles (si vous n'avez pas de lagon tropical à disposition, oubliez tout de suite, ça ne marchera pas) sans
ressembler à un potentiellement barbant manuel de perliculture !
On va peut-être commencer par la matière première : les huîtres. Pas grand chose à voir avec celles que l'on mange en métropole, ici c'est une espèce propre aux eaux tropicales, plate, à la
coquille sombre, et qui grandit jusqu'à plus de 20cm de diamètre. Tout le monde ici appelle ça des nacres, on a pris le pli...
Il se trouve que de temps en temps une de ces nacres produit - accidentellement, quand un corps étranger se glisse à l'intérieur - une perle, mais c'est de l'ordre de une perle pour 10000
huîtres, donc faudrait ravager entièrement les lagons des Tuamotus (ce qui a été fait il y a quelques siècles) pour espérer monter un collier...
Et puis un Japonais bricoleur a découvert au siècle dernier qu'il était possible de forcer les nacres à produire une perle, au prix d'une opération chirurgicale qui s'apparente à une greffe,
d'une convalescence choyée et de beaucoup de patience...
L'opération de greffe est un boulot de spécialiste et il faut un paquet d'année de pratique avant d'avoir la main. On a vu passer des huîtres greffés par différents gars, et effectivement au
niveau de la qualité des perles qui sortent ensuite ça n'a rien à voir !
Du coup les fermes perlières s'arrachent les meilleurs greffeurs à coup de gros billets et lorsque l'industrie de la perle était en folie il y a quelques années, certains d'entre eux avaient des
salaires absolument délirants.
Au Kamoka le greffeur c'est Timi, il est là depuis des années, et il est doué. Malgré sa réputation qui n'est plus à faire sur Ahe il n'a pas du tout la grosse tête et c'est quelqu'un de vraiment
super gentil !
Donc la greffe, c'est pas un boulot accessible aux apprentis que sont les woofers !
Mais tout le reste, on participe ! A commencer par aller récolter des jeunes huîtres dans le lagon...
Ca c'est le même principe que l'ostréiculture classique, des supports sont placés en pleine eau pour que les larves d'huîtres viennent s'y fixer puis y grandir. Au bout d'un moment on remonte les
supports (ici ils utilisent des genres de grosses chenilles en plastique) et on ramasse les huîtres qui sont dessus. Pas sorcier.
Début de journée avec Fab, à 6h30 juste après le petit-dej et comme tous les matins, que le plan d'eau soit démonté ou pas (ce qui était le cas les premières semaines)... En un mois de boulot je
crois n'y avoir jamais coupé ;)
Une fois revenus avec le stock d'huîtres pour la journée, on les nettoie, on les trie...
Et ensuite celles qui sont assez grosses pour connaître leur première greffe partent entre les mains de Timi !
Pour le principe : la greffe consiste à insérer un nucléus (une bille) et un greffon de nacre (la matière minérale brillante à l'intérieur de certains coquillages) dans un organe précis de
l'huître. Une fois opérée, elle va recouvrir de nacre la surface de la bille en dupliquant le greffon, comme pour une greffe de peau par exemple.
Le gars à la gauche de Timi c'est Aristide, le préposé à la découpe des greffons qu'il prélève directement sur des coquilles d'huîtres que l'on sacrifie pour l'occasion. L'opération est
importante car en théorie c'est ce qui va donner la couleur de la perle au final : par exemple si le greffon est un fragment de nacre plutôt rosé, la perle obtenue sera dans des tons
approchants...
Mais les fantaisies n'ont pas trop leur place ici et pour rester dans le ton des perles noires des Tuamotu, les greffons sont donc choisis les plus sombres possible.
Vous voyez pas bien ce que fait Timi sur la photo, c'est exprès, on voudrait pas être taxés d'espionnage industriel ;)
Les huîtres greffées sont ensuite disposées dans des paniers en grillage plastique, histoire d'être à peu près protégées de leurs nombreux prédateurs (des poissons gourmands pour la plupart)
pendant qu'elles seront mises à grandir au milieu du lagon...
Paniers qui sont réutilisés au fur et à mesure des récoltes, qui finissent couverts d'algues, et qui sont super chiants à nettoyer, soit dit en passant...
Ben oui parce que vous pensez bien que si on colle les huîtres fraîchement opérées dans des trucs cradok, elles vont nous faire une infection les pauvres titines. D'ailleurs c'est le credo du
perliculteur : pour récolter de belles perles, faut choyer les huîtres.
Au passage on vous présente Robert, woofer suédois de son état et tourdumondiste également, catalogué - à son grand dam - "spécialiste du nettoyage de paniers dégueulasses"...
Les paniers pleins d'huîtres greffées au cours de la journée, on va les ranger chaque fin d'après-midi dans le lagon, sur des lignes tendues en pleine eau au large de la ferme à 5 ou 6m de fond
(la profondeur du lagon dans le coin étant de 40m...).
Les huîtres vont grossir tranquillement, seront sorties de l'eau de temps en temps pour être nettoyées, et seront récoltées entre un an et demi et deux ans plus tard, en espérant y trouver les
plus belles perles possibles !
Quand aux jeunes huîtres ramassées le matin mais un peu trop petites pour être greffées, elles passent par la case élevage, bien alignées en chapelets tout autour de la ferme... en attendant
qu'elles grossissent un peu.
Mais on va passer au chapitre le plus sympa : la récolte des perles !
Faut bien que tout ce boulot serve à quelque chose...
L'organisation du boulot à la ferme se fait par périodes : collecte et greffe de jeunes huîtres exclusivement pendant quelques semaines, puis quelques semaines de récolte d'huîtres greffées
l'année précédente, éventuellement aussi des périodes où tout le monde ne fait que nettoyer les huîtres dans les paniers du lagon...
Bref, nos dix derniers jours au Kamoka ont été consacrés à une récolte de perles (qui devait se poursuivre tout le mois en vue des fêtes de Noël et d'une demande accrue), et on va essayer de vous
raconter ça !
Pour ça, on récupère des huîtres greffées l'année précédente ou un peu avant (la durée estimée adéquate pour leur laisser le temps de produire de bonnes perles c'est environ 18 mois)...
On ressort donc les paniers d'huîtres "à point", en allant les récupérer à un endroit précis du lagon un peu comme on va chercher un livre à la bibliothèque : c'est vachement bien rangé.
On les ouvre pour récupérer les huîtres qui ont droit à un petit coup de brosse au passage...
Et direct, on ouvre toutes les huîtres comme des barbares, chacun pour soi !
Nan... bon en fait ça se passe pas tout à fait comme ça.
Pour une bonne raison : une huître qui produit une belle perle est a priori capable de recommencer, et en plus gros.
Ca s'appelle la surgreffe : la perle est récupérée délicatement en entrouvrant à peine la coquille, et remplacée par une bille de même taille. L'huître n'y voit que du feu et se remet à produire
des couches de nacres autour de la nouvelle bille. Si tout va bien, on obtiendra donc l'année suivante non seulement une deuxième perle issue de la même huître, mais surtout une grosse perle dont
la valeur est bien plus élevée.
L'opération est éventuellement réitérée une troisième fois, pour obtenir les plus belles perles. Ensuite l'huître est généralement trop vieille ou trop grosse pour être greffée une nouvelle fois,
donc on la bouffe. Le perliculteur est un ingrat...
C'est donc Timi qui a le privilège de récupérer les perles, et si il juge que ça en vaut le coup parce que l'huître a produit une belle première perle et est en bonne santé, il surgreffe.
Un petit film de la récolte d'une perle par Timi, et d'une nouvelle greffe de l'huître avec un nucléus de la même taille que la perle qu'il a extraite :
Si en entrouvrant la coquille Timi aperçoit une perle plutôt moche, il n'insiste pas et ne se fatigue même pas à l'extraire, l'huître part directement au recyclage : elle est ouverte sans pitié
et on récupère la coquille pour ensuite les vendre en grosses quantités, la nacre qui recouvre l'intérieur étant utilisée pour faire des bijoux (et également les billes qui servent de nucléus
pour les greffes).
Au passage on met de côté le "pied" de l'huître qui a le même goût que nos noix de coquilles Saint-Jacques. Ici ça s'appelle
corori, Lapinette est fan, perso je suis quand même pas assez
amateur de fruits de mer pour en manger à toutes les sauces comme elle !
Et par la même occasion on récupère aussi la perle, et elles sont pas toujours si moches que ça !
C'est pour ça que le stand où les huîtres jugées improductives sont trucidées ne désemplit jamais de woofers ;)
Y a un boulot sympa aussi, c'est emmener les sacs de coquilles de nacres jusqu'au motu...
Charger 40 sacs de 50 kilos chacun sur le bateau puis les décharger ensuite : un vrai bonheur.
Surtout quand avec Fab on en chie pour en porter un en s'y mettant à deux, et qu'à côté les gars de la ferme en portent un tout seul en sifflotant :(
Et à la fin de chaque journée, séance de tri !
Par taille, par qualité, par forme...
Le critère le plus important c'est la qualité, grosso modo une note de A à D qui reflète l'état de surface et la brillance de la perle.
La forme ensuite, il y a tout un tas d'appelations, de "sphère" à "baroque" (tous les trucs bizarres) en passant par "goutte" ou "cerclée"... plus c'est rond, plus c'est bon !
Pour la taille, les perles issues d'une première greffe - comme toutes celles que l'on a récoltées - sont plutôt petites, moins de 10mm de diamètre alors que des "troisième greffe" peuvent
atteindre 15mm voire plus.
La couleur enfin, noire, turquoise, verte, rose... reste un critère de choix subjectif et a moins d'influence sur la valeur de la perle...
Mais quand même... par leur relative rareté, on peut vous assurer que ces quatre-là couleur or valent leur pesant de cacahuètes...
Sachant que l'on trouve chacune de ces perles dans les boutiques de Tahiti pour l'équivalent de 50 euros en moyenne (un peu en-dessous pour les moins belles, très au-dessus pour les plus belles),
il y a pas mal d'argent sur la table à la fin de chaque journée de récolte...
Pour autant, le Kamoka est en galère, comme toutes les petites fermes des Tuamotu. D'immenses fermes perlières implantées par des Chinois sur quasiment tous les lagons de Polynésie (où moyennant
quelques dessous-de-table tout est possible pour n'importe qui veut installer son industrie ici) ont submergé le marché des perles, et les prix ont chuté. Sans compter les dégâts sur la qualité
de l'eau des lagons, consécutifs à l'élevage intensif d'huîtres perlières...
Il y a quelques années c'était encore l'eldorado, et l'argent coulait ici à flots dans des proportions à peine imaginables.
Les constructions vieillissantes sur le motu du Kamoka en attestent... Il y a des bungalows pour loger 30 personnes, le nombre d'employés à cette époque contre 4 seulement aujourd'hui, une salle
de jeux - avec un billard ! - et un bar en ruine, et toute une flottille de bateaux qui pourrissent au sec sur le corail du motu... On vu jure que c'est bizarre à voir, ça fait un peu ville
fantôme, d'autant que la végétation a repris le dessus et recouvert tout ça...
Bref on leur souhaite vraiment de sortir la tête de l'eau ;)
Finalement les seuls à se la couler douce ici, c'est ces deux terreurs...
Pour plus ou moins résumer tout ça, on a essayé de vous monter une petite vidéo compilant une journée de boulot !
De temps après tout ça on prend le bateau jusqu'à l'"épicerie" de la voisine, sur le motu d'à-côté.
Histoire de ramener quelques vivres...
L'épicerie de Rosine, le supermaché à côté de chez nous !
Il y a même un parking (pour les bateaux évidemment) !
Et tout est généralement consommé le soir même à table !
Mais Ahe c'est pas tout à fait fini sur le blog des Lapinous, on a encore quelques histoires à vous raconter et en particulier au sujet des requins du coin, pas toujours aimables avec les
touristes !
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