La côte sud de l'Alaska offre trois points d'accès simples à l'océan, et donc à la faune marine exceptionnelle et aux fjords et glaciers tombant dans la mer : les ports d'Homer et Seward sur la péninsule de Kenai qui donnent directement sur le Golfe d'Alaska, et plus à l'est Valdez dans le Prince William Sound (une vaste baie quasi fermée).
Homer nous n'avions pas pu y aller en raison des feux de forêts, Seward c'était l'objet de l'article précédent et on ne peut pas dire que l'on ait été déçus. Et il faut être honnêtes on a hésité à faire le détour par Valdez, de peur de retrouver sensiblement les mêmes choses qu'à Seward.
Quelle erreur ç'aurait été !
En fait il y a un quatrième port sur la Coastal Alaska, mais il est très particulier et on ne conseillerait à personne d'y passer ses vacances : Whittier. Une ville très étrange où tous les habitants vivent dans un seul et unique immeuble.
Loin d'une étude sociologique, c'est une rando sympa au départ de Whittier qui nous attire là-bas, et donc à attendre notre heure de passage pour le tunnel...
Car Whittier ne se rejoint par la route que via un tunnel - payant - déconseillé aux claustrophobes : une voie unique avec des rails au milieu car le train l'emprunte aussi. D'où des horaires alternés pour chaque sens (normalement un passage de chaque côté par heure, sauf quand un train met un peu le bazar).
C'était le plus long d'Amérique du Nord (4 kilomètres qui paraissent une éternité) jusqu'à il y a peu.
Lors de l'arrivée à Whittier par une météo moche, faut quand même avoir un gros moral pour pas faire demi-tour aussi sec. Un port industriel et effectivement une unique barre d'immeuble dans laquelle habitent les 200 personnes de la city under one roof.
La « ville » et le tunnel ont été construits durant la Seconde Guerre Mondiale, et les bâtiments délabrés de l'époque ajoutent encore à l'ambiance festive du coin...
Même sous un ciel plombé et des averses glacées, la rando qui part de Whittier (Portage Pass Trail dont le départ se trouve juste à la sortie du tunnel, environ 2h aller-retour) vaut le coup.
Le sentier grimpe le petit col puis redescend jusqu'au Portage Lake dans lequel tombe le glacier du même nom.
Les icebergs traversent le lac et viennent s'échouer sur la plage...
Sur le principe on aurait pu rejoindre Valdez depuis Whittier par un ferry, mais le coût astronomique pour embarquer le camping-car nous a dissuadé d'y réfléchir.
Ça nous aurait également fait rater la Glenn Highway, la route qui part d'Anchorage vers l'est, réputée photogénique.
Ayant donc repris le tunnel de Whittier en sens inverse, la nuit sera un peu agitée sur un spot de freecamping dans la Portage Valley, magnifiquement placé mais sans doute victime de son succès car autres camping-cars et voitures sont venus s'y entasser anarchiquement au cours de la soirée (c'est aussi l'inconvénient de l'appli iOverlander qui draine tous les profils sur les coins référencés : on y rencontre des gens très sympas mais parfois aussi de vrais connards je-m-en-foutistes).
Après une journée de route, la nuit suivante est plus calme au bord de la Matanuska River, un peu en retrait de la Glenn Highway.
Avec dans un coin de la tête un paysage dégagé car il y a une petite alerte aux aurores boréales.
Malheureusement ça reste faiblard, avec la luminosité diffuse que l'on commence à bien connaître à force de se lever en milieu de nuit (à la latitude de l'Alaska ces aurores basses sur l'horizon sont quasiment le minimum quotidien dès que les nuits rallongent)...
En revanche à cette époque de l'année (début septembre) les couleurs le long de la Glenn Highway sont fabuleuses !
Toujours avec les aurores boréales dans un coin de la tête pour la nuit à venir, on fait un écart pour rejoindre un coin perdu : Lake Louise.
Il y a un terrain de camping (c'est un state park de l'Alaska) sur la rive sud de l'immense lac, donc logiquement la vue y est dégagée en direction du nord !
Les 30 kilomètres qui rejoignent Lake Louise depuis la Glenn Highway sont bitumés, mais infernaux : la petite route est incroyablement gondolée, le camping-car rebondit d'une bosse à l'autre et tout vole à l'intérieur.
Pour être tranquilles, on va être tranquilles ! Nous sommes seuls au camping, même pas un ranger.
Mais un vent glacial va malheureusement limiter nos sorties...
De toutes façons pas très sereines, vu l'isolement des lieux !
Le réveil en milieu de nuit n'aura rien donné - une pâle lueur verte sur l'horizon comme la veille - à part la sensation grisante du silence absolu, le vent étant totalement tombé et aucun loup pour hurler au loin comme on en entend parfois.
À Glennhallen (au terminus de la Glenn Highway) on s'engage sur la route de Valdez, à 200 kilomètres plus au sud, après une dernière hésitation liée à des prévisions météo assez aléatoires.
Une chaîne de hauts sommets dans les nuages attire l'œil : on découvre ainsi sur la carte les Wrangell Moutains et par la même occasion qu'un immense parc national les englobe : Wrangell - St Elias National Park, le plus vaste de toute l'Amérique du Nord (4 fois plus grand que le Yellowstone, ou la superficie d'un pays comme la Suisse).
Très peu d'accès terrestres (seules deux pistes s'enfoncent dans le parc) mais on se note une petite incursion à tenter lors du retour de Valdez...
Valdez, on y arrive sous un ciel plombé qui ne permet pas de se rendre réellement compte du paysage environnant.
Et la première impression c'est que Valdez n'est pas Seward, la ville est nettement moins étendue, et semble très tranquille...
À proximité immédiate de la ville se trouve le Valdez Glacier, qui finit dans un lac. Le glacier a tellement reculé qu'il n'est plus visible depuis le point d'accès, en revanche le lac est rempli de glaçons...
On a passé une nuit ici, dans un froid polaire avec les icebergs qui rafraîchissent l'air ambiant.
Les excursionnistes de Valdez proposent des sorties en kayak d'une à deux heures sur le lac, mais le tarif (80$ par personne) nous a semblé prohibitif.
Du coup on a envoyé le drone...
Et puis on arrive à Valdez en plein salmon run...
On l'avait déjà un peu évoqué dans notre récit de Seward, avec des saumons qui remontaient en nombre dans le moindre ruisseau, mais ici (ou peut-être maintenant, avec les quelques jours de décalage) ça dépasse l'imagination.
Partout : rivière, petit torrent, filet d'eau, mare... ça grouille de saumons, à tel point que si l'on marche au bord de l'eau on finit trempés par les éclaboussures des poissons !
On pourrait les attraper à mains nues, mais l'approche imminente de la reproduction les rend immangeables. Pour se faire un saumon grillé, il faut plutôt les pêcher à la ligne en bord de mer, avant qu'ils n'aient débuté leur remontée de rivière.
Ce sont les saumons coho (« silver salmons ») qui viennent pondre ici début septembre, mais la date n'est pas forcément la même sur toute la côte et surtout dans les rivières de l'intérieur.
Les lieux de ponte sont toujours des gravières où l'eau est claire, parfois à quelques centaines de mètres seulement en remontant le cours d'eau depuis la mer. À certains endroits le fond est rose d'œufs de saumon...
Mais dans les jours qui suivent la ponte, les adultes meurent. Ça fait partie d'un cycle immuable, les cadavres occasionnant la prolifération de petits organismes dans la rivière, qui eux-mêmes permettront de nourrir les alevins lors de leur éclosion.
Évidemment des dizaines de milliers de poissons qui pourrissent ensemble, ça développe un certain fumet dans toute la vallée.
Disons que ça reste tenable, sauf vraiment dans certains coins.
Conséquence logique de cette profusion momentanée de nourriture riche à portée de dents, tous les ours des environs se rapprochent de la côte. À Valdez en particulier, cela pose parfois des problèmes car ours noirs et grizzlys rodent nombreux jusqu'en ville.
Un premier ours noir sur le bord de la route dès notre arrivée, puis le second sur la rando côtière vers Shoup Bay, valident les mises en garde omniprésentes.
C'est assez curieusement la première fois que l'on se trouve nez à nez avec un ours sur un sentier, et celui-ci est en plein repas. Malgré ça, quelques claquements de mains et il abandonne son saumon pour fuir dans la végétation, avant même une photo souvenir !
Valdez c'est aussi le terminus de l'oléduc Trans-Alaska, qui achemine sur plus de 1000 kilomètres le pétrole brut extrait sur la côte nord dans l'Océan Arctique (où sont exploitées de gigantesques réserves depuis 50 ans), jusqu'au seul port d'Alaska où la mer ne gèle jamais.
Par conséquent la baie abrite souvent un ou plusieurs pétroliers, quand ils ne sont pas masqués dans la brume...
Une brume qui donne un côté mystique à notre superbe spot de camping sauvage, partagé avec les Québecois du Joly Bus.
Nico, Valérie et leur petite fille sont partis peu de temps avant nous de Montréal, dans leur bus scolaire reconverti, et on les a rencontrés pour la première fois à Seward. Ayant des itinéraires assez semblables et les mêmes affinités dans la recherche des bons coins pour passer la nuit, on se recroise de temps en temps...
Ce spot à Old Valdez (le site de l'ancienne ville détruite en 1964 par l'un des plus puissants séismes enregistrés sur Terre, magnitude 9.2) est à l'embouchure d'une rivière avec plein de ruisseaux annexes : ici aussi c'est rempli de saumons.
Pas d'ours aperçu dans les environs immédiats, par contre les aigles rodent tout autour jusqu'à parfois frôler le camping-car... Ambiance !
De l'autre côté de la baie, un autre bon coin pour l'observation des animaux-qui-se-goinfrent-de-saumons : la hatchery (pisciculture), qui comporte un espace de visite.
Le concept est simple : un cours d'eau a été transformé pour que les saumons viennent pondre directement dans des bassins aménagés, et non dans le lit naturel de la rivière. Après l'éclosion les alevins sont engraissés sur place ou dans d'autres piscicultures.
Bien sûr ça attire des pique-assiettes de tout poil, et l'endroit est fréquemment visité par des grizzlys, a priori plutôt en fin de journée.
Ils viennent se baffrer à l'entrée de l'échelle à poissons, où s'entassent dans un flux sans fin des centaines de saumons avant de grimper vers les bassins de ponte.
Pour nous ce sont deux énormes lions de mer qui ont assuré le spectacle, en venant casser la croûte dans le torrent.
Des milliers de mouettes se partagent les restes, ou tapent directement dans les cadavres de poissons rejetés par la pisciculture, une fois la ponte accomplie.
La magnifique baie de Valdez aura fini par enfin se dégager !
On trouve à Valdez des prestataires proposant des sorties « faune et glaciers » en bateau dans le Prince William Sound, dans le même esprit qu'à Seward.
Cela dit les excursions de Valdez nous ont semblé un petit peu plus onéreuses. Et comme on l'avait déjà fait à Seward dans les fjords du Kenai National Park, avec un niveau de succès difficile à réitérer, on n'a pas retenté l'expérience ici.
Et puis à Valdez, on peut même pique-niquer au bord de l'eau en regardant les lions de mer !
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