Le sud-est de l'Alaska est une région très particulière de l'état, une bande côtière qui s'étire vers le sud le long du Canada et complètement à l'écart de l'Alaska continentale.
L'Alaska Panhandle (« le manche ») est un invraisemblable dédale de fjords et d'archipels, dont quelques îles raisonnablement peuplées : c'est d'ailleurs sur l'une d'elles que se trouve Juneau, la capitale administrative de l'Alaska et deuxième ville en taille après Anchorage.
On y trouve également quelques enclaves sur le continent encerclées par la Colombie-Britannique, mais accessibles par des routes en cul-de-sac : le petit port tranquille d'Haines, le grand port moins tranquille de Skagway, et à l'extrême sud de l'état la minuscule communauté de Hyder (où l'on se rendra un peu plus tard, après un immense détour de plus de 1000 kilomètres par la route).
Haines se rejoint donc depuis Haines Junction au Yukon, par les 250 kilomètres de la Haines Highway qui bascule d'abord en Colombie-Britannique puis franchit la frontière américaine un peu avant d'arriver à Haines, terminus de la route.
La Haines Highway en cette mi-septembre est sans doute l'une des plus belles routes que l'on ait prises. En pleine nature (aucun village tout du long) et enchaînant des paysages aussi spectaculaires que variés, colorés par l'automne...
Jusqu'à ce que soit franchi le dernier col avant la longue descente vers Haines : le feuillage regagne alors plusieurs semaines d'un coup, proximité de la mer et climat plus doux obligent.
La toute fin du parcours longe la vallée de la Chilkat River jusqu'à Haines. C'est ici que l'on trouve la plus importante population de bald eagles (l'emblématique aigle à tête blanche américain) du monde, et concentrée sur un petit périmètre.
C'est une réserve naturelle et de nombreux postes d'observation ont été installés le long de la route.
On aperçoit effectivement quelques aigles posés au bord de la rivière, puis on en verra des dizaines lors de notre séjour à Haines, mais c'est sans commune mesure avec le regroupement qui se produit en novembre et décembre : lorsque les saumons remontent la rivière Chilkat, très tard dans l'année (en raison d'un phénomène lié à des nappes d'eau chaude qui fait qu'elle ne gèle pas, au contraire des autres fleuves), tous les aigles à des milliers de kilomètres à la ronde migrent ici pour profiter d'une aubaine unique de se baffrer pendant l'hiver.
Un festival a même lieu à Haines en novembre lors du pic d'affluence, lorsque le nombre d'aigles approche les 5000 et qu'on peut lire que les arbres au bord de la rivière n'ont pas assez de branches pour leur permettre à tous de se poser...
L'arrivée au village de Haines (même pas 2000 habitants à l'année) dans un cadre majestueux de fjords et de hautes montagnes...
Notre camp de base à Haines : l'aire de repos municipale, magnifiquement située en bord de mer et très tranquille un peu à l'écart du village.
Avec un panorama aussi dégagé et une météo au grand beau, on repasse en mode surveillance pour les aurores boréales, jamais rassasiés par un tel spectacle.
D'ailleurs on pourrait penser qu'on a un bol monstre pour choper de telles conditions, et plusieurs journées de suite, dans un coin où il pleut 300 jours par an... En réalité ce séjour à Haines a été millimétré longtemps en amont en scrutant les cartes météo, et en ayant privilégié cet improbable créneau à tout le reste.
Nous avons largement perdu en latitude depuis l'Alaska continentale, mais une activité solaire modérée nous pousse à renclencher le réveil de milieu de nuit !
Elles seront féériques au-dessus du fjord, mais sans doute les plus compliquées à photographier car ondulant dans tous les sens.
On commence également à mettre davantage de côté les prises de vue frénétiques et plutôt rester posés les yeux grand ouverts devant le spectacle.
Géographiquement, Haines se trouve à l'isthme d'une presqu'île d'une dizaine de kilomètres de long qui sépare les vallées des rivières Chilkat (à gauche, celle des aigles) et Chilkoot (à droite, avec tout au fond le fjord qui remonte vers Skagway).
Ça donne un formidable terrain de jeu en randos côtières et sur les pentes du Mt Riley, la petite montagne (ou grosse colline) qui trône au centre de cette avancée vers la mer.
À la pointe, il y a le Chilkat State Park avec un camping, tellement isolé que c'est complètement désert. Pas de ranger et encore moins de campeur : on prend nos quartiers en pirates.
L'auvent du camping-car est déployé pour la première fois depuis des semaines, shorts et tee-shirts sont ressortis. Plus de 25°C au thermomètre et de quoi se poser des questions mi-septembre en Alaska...
Au fond d'une petite baie de la presqu'île donnant sur l'embouchure de la Chilkat River, quelques baraques en bois et un quai sur pilotis. C'est la Haines Packing Company, une entreprise locale qui conditionne les prises des pêcheurs : saumons sauvages (chinook, sockeye, coho...) et king crabs principalement, pour les expédier dans tout le pays.
On peut acheter sur place, ce n'est pas très cher, et on ne s'est pas fait prier sur les énormes filets de saumon et les épaisses tranches de saumon fumé, en panachant les différentes espèces !
De l'autre côté d'Haines, la Chilkoot River. Une rivière assez courte qui s'écoule d'un lac et se déverse au fond du fjord, après seulement quelques kilomètres.
Cette rivière, elle grouille de poissons lors des salmon runs (chaque espèce à sa période). Les saumons font l'objet d'un comptage, grâce à un piège en travers de toute la rivière qui bloque temporairement les poissons dans un genre de sas, et chaque jour un ranger vient les dénombrer avant de libérer la meute...
La concentration de poissons fait office de garde-manger quotidien pour les ours du secteur, le barrage à saumons et cette section de la rivière Chilkoot en général étant devenus des points d'observation quasi garantis des ours noirs et des grizzlys.
L'accès est simple, une petite route longe la rivière jusqu'au lac. Depuis celle-ci, à pied, en vélo, voire en voiture mais il est compliqué de s'arrêter, on peut donc contempler de relativement près des ours noirs, qui se désintéressent totalement de ce qui ne ressemble pas à un saumon nageant dans le courant.
D'autres clients rodent également dans le secteur...
Alors comme le spot est « un peu connu mais pas trop », il y a quand même du monde aux heures les plus actives (en théorie un peu avant le coucher du soleil, mais en pratique en quelques jours on a vu des ours à toute heure) et ça peut être un peu tangent, les distances de sécurité habituelles (plus de 100m) n'étant pas du tout respectées.
La cohabitation ours-hommes sur la Chilkoot River connait des hauts et des bas, pour l'instant le site reste en libre accès.
Mais il est à prévoir que sa renommée et sa fréquentation vont augmenter (des prestataires d'Haines commencent d'y promener des touristes pour des wildlife tours) et que les lieux soient davantage contrôlés.
Il y a quelques années un grizzly un peu trop familier de la présence humaine et de ses dérives (glacières des pêcheurs, déchets...) a dû être abattu.
C'est bien clair pour tout le monde ?
Outre les aigles et les ours, il y a des gens qui vivent à Haines, qui semblent plutôt bien s'y plaire et on les comprend !
Une ambiance tranquille sans être trop calme, et pas mal de petits commerces dont un qui a évidemment eu nos faveurs plusieurs fins d'après-midi : la Haines Brewery, une petite merveille de brasserie artisanale en tous côtés sympathique : un tavernier chaleureux, de très bonnes bières, et des tables dans un petit jardin à l'extérieur.
On aurait aimé vous partager quelques clichés intérieur-extérieur de ce bel endroit... mais une malheureuse erreur de manipulation avec nos photos nous en empêche.
Bref, Haines est un coin que l'on aime beaucoup...
Hors sentiers côtiers, il y a deux belles randos qui partent du village pour grimper les sommets environnants : le Mt Ripinsky, sur une grosse journée et avec pas loin de 1000m de dénivelé à avaler, et le Mt Riley, plus modeste (3 heures et moitié moins de dénivelé) au milieu de la presqu'île qui marque l'embouchure de la Chilkat River.
Les deux offrants des panoramas à 360 degrés et ayant un peu levé le pied sur les journées complètes de rando, on a opté pour le plus facile et donc l'ascension du Mt Riley.
Du sommet la vue est effectivement sen-sa-tion-nelle !
De multiples sentiers sur les différents versants de la colline permettent de moduler des circuits, comme d'ajouter un détour par le paisible Lily Lake (photo fake : il y avait en fait une grosse motopompe au bord du lac pour alimenter Haines en eau douce, qui faisait un boucan d'enfer).
Une femelle orignal, et son petit un peu plus loin, aperçus à la descente !
Et puis il y a eu « l'affaire des grizzlys ».
Toujours le long de la Chilkoot River, après une première virée en camping-car infructueuse (sans doute trop tard à la tombée de la nuit) puis une seconde à pied où l'on a vu un ours noir de près et un grizzly de loin en fin d'après-midi, on y retourne un matin en vélo...
Ça démarre plutôt sereinement, on est tranquilles car il n'y a quasiment personne le matin, et y a deux jeunes grizzlys qui pêchent de l'autre côté de la rivière !
Et puis un autre plus gros sort de derrière un rocher un peu plus près, a priori la mère.
Pas trop d'inquiétude pour le moment, elle se goinfre et nous offre l'occasion rêvée de l'ours-qui-pêche-un-saumon-en-Alaska !
La situation se tend quand un specimen énorme débarque d'on ne sait pas trop où juste en contrebas du chemin... et monte sur notre rive !
Ça commence à faire beaucoup pour les nerfs de la plus jeune de l'équipe : on bat en retraite le plus calmement possible en remontant sur les vélos.
C'est à ce moment-là qu'un gros bruit dans la forêt juste de l'autre côté de la route nous fait tourner la tête...
« aaaah y en a un de plus juste ici contre l'arbre ! »
On est descendus de vélo pour marcher tout doucement jusqu'à s'être éloignés à distance respectable, avec notre dose d'adrénaline pour la semaine.
Le dernier des cinq grizzlys de cette aventure n'était même pas à 10 mètres de nous...
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