Une carte routière de l'Alaska se présente de façon assez simple : schématiquement en traçant un « A » dont le sommet serait Fairbanks, on a toutes les routes de l'état.
Pour le reste ce sont quelques accès annexes et pistes pour aventuriers bien préparés (comme la Dalton qui rejoint les exploitations pétrolières sur la côte de l'océan Arctique), sachant également que la moitié ouest de l'Alaska est quant à elle totalement vierge de toute forme d'accès routier.
Comptant emprunter quasiment intégralement son réseau routier pour découvrir chaque coin accessible de l'Alaska, on avait plusieurs options de parcours. L'été bien avancé, pour ne pas dire le début de l'automne aux teintes que prennent déjà les forêts, nous a poussé à commencer par le nord pour descendre ensuite progressivement sur la côte sud...
Tout juste auréolés de nos visas américains de 6 mois (entrées-sorties à volonté jusqu'en février l'année prochaine) validés au poste frontière de Poker Creek - le plus au nord de toute l'Amérique du Nord ! - il faut nous attaquer à une section de piste pas commode avec le camping-car...
La descente vers Chicken, où l'on est censé retrouver du bitume, est raide, étroite, défoncée par endroits.
Une trentaine de kilomètres assez usants... pour débarquer dans un lieu au summum du kitch !
Le village de Chicken ce sont quelques baraques, et un saloon atypique : casquettes, chaussettes, soutien-gorges, culottes et caleçons pendent du plafond, laissés par les gens de passage selon un curieux rituel coutumier.
Déjà un peu légers côté panoplie vestimentaire, on n'a pas jugé opportun d'apporter notre contribution...
Mais surtout, Chicken joue la carte touristique du... poulet. En fait ça tourne au délire, tout dans le village fait référence de près ou de loin à la volaille.
Avec bien sûr un totem géant !
On aurait pu éventuellement tenter une heure ou deux de gold panning (orpaillage avec une bâtée) car le coin est réputé pour abriter encore quelques bons filons et quelques sites proposent aux visiteurs de s'y essayer.
Mais ça se passe sur des parkings terreux ou dans des bassins plus proches de la pêche aux canards, sans parler des fous du village qui trouvaient que l'on venait les espionner d'un peu trop près : on laisse tomber et on fuit définitivement Chicken.
La Taylor Highway qui depuis Chicken nous ramène jusqu'à la route de l'Alaska s'avère bitumée certes, mais complètement défoncée.
On arrive HS au point de chute du soir, un spot de camping sauvage sympa dans la vallée de la Tanana, face à la chaîne de montagnes (l'Alaska Range).
Puis plus on s'approche de Fairbanks plus l'Alaska nous prend au dépourvu, surtout débarquant du Klondike qui sentait le Grand Nord à plein nez.
Large autoroute à quatre voies et assez fréquentée, bases militaires, chaînes de fast-foods... et à North Pole, auto-proclamée « ville du Père Noël » avec fabrique de jouets et statue de 20 mètres de haut, les rennes ne folâtrent pas dans la toundra mais sont parqués dans des enclos.
Qu'est-ce-que c'est que ce bazar pour une contrée que l'on s'imaginait peuplée de trapeurs et d'aventuriers en tous genres ?
D'une part il y a une forte présence militaire en Alaska (depuis la seconde guerre mondiale) du fait de la position stratégique par rapport à la Russie juste en face. Ça fait une petite population qui vit sur place, consomme, et l'administration militaire génère un paquet d'emplois.
Mais surtout, en Alaska il y a le pétrole. Les gisements se trouvent sur la côte nord, et un gigantesque pipeline achemine le pétrole jusqu'à Valdez sur la côte sud (car la mer n'y gèle à aucune période l'année, permettant une rotation continue des pétroliers).
L'état d'Alaska perçoit des revenus faramineux de cette économie et redistribue les dollars aux habitants, dans le réseau routier et tout un tas d'infrastructures touristiques ou culturelles.
Le centre-ville de Fairbanks, où se trouve un extraordinaire centre culturel et d'information pour les visiteurs, reste pourtant minuscule bien que ce soit la seule vraie ville à des centaines de kilomètres à la ronde...
On a passé deux jours complets à Fairbanks.
Un premier point de passage incontournable était un garage pour la vidange du camping-car, après 8000 km parcourus depuis Montréal on a atteint la limite acceptable pour notre moteur de camion.
Finalement ça se fait aussi facilement que pour une voiture dans n'importe quel centre auto.
L'autre était la brasserie artisanale HooDoo, où semble se retrouver tout Fairbanks chaque fin de journée !
On adore !
Au passage le côté « come as you are » en Alaska est assez génial : vous pouvez y croiser pêle-mêle des étudiants, des gens en costard, des pêcheurs, des motards, des poussettes, une équipe de basket en tenue qui sort de l'entrainement, des familles entières grand-parents inclus...
Une autre bonne découverte à Fairbanks : le jardin botanique (vers l'université). Fraises, framboises, légumes et fleurs des champs ça peut paraître assez anodin vu d'Europe, mais dans l'intérieur de l'Alaska c'est un petit tour de force durant le court été.
Un coin sympa cultivé en partie par des bénévoles, l'entrée n'est pas payante mais il est encouragé de laisser un petit billet dans une boîte à donations.
Dans les environs de Fairbanks il y aurait de quoi s'occuper plusieurs jours, avec des hot springs aménagées notamment, mais assez éloignées (Chena et Manley).
Du temps on en a, par contre on voit passer de plus en plus de vols d'oiseaux migrateurs dans le ciel... et la direction qu'ils prennent laisse penser que l'été touche à sa fin.
Alors avant de repartir sans trop s'attarder ici, on fait un passage par Creamer's Field juste au nord de la ville. D'anciens champs sont devenus un refuge pour les oiseaux migrateurs, où ils se regroupent en nombre en août avant de poursuivre vers le sud.
Et on quitte Fairbanks, non sans emporter quelques souvenirs !
Direction le parc national du Denali, à quelques heures de route vers le sud...
Le Denali, c'est le Mont MacKinley (nom anglo-saxon qui n'est plus usité que par les conservateurs invétérés, le nom qu'ont toujours donné les tribus amérindiennes à la montagne lui ayant officiellement été réattribué par Barack Obama) : le plus haut sommet de toute l'Amérique du Nord, à plus de 6000m d'altitude.
Un immense parc national l'entoure, et au-delà de la montagne elle-même c'est une zone isolée où les grands animaux pulullent, grizzlys en tête.
Pour autant le Denali est un parc difficile à appréhender, avec une unique piste seulement accessible à des bus privés, qui s'enfonce dans la vallée sur plus de 100 km et le long de laquelle se répartissent campings, points de vue et départs de rando.
Ça a l'avantage de canaliser l'afflux important de visiteurs (à 2-3 heures de route de l'aéroport international d'Anchorage, rejoindre l'entrée du Denali National Park reste très accessible).
Ça a l'inconvénient d'une part de devoir bien gérer ses heures de retour lorsque l'on part faire une rando, d'autre part de coûter très cher si l'on prend une navette chaque jour car le moindre trajet revient à plusieurs dizaines de dollars par personne (cependant en rapport avec les temps de trajets : il faut par exemple plus de 4 heures de piste en bus pour rejoindre Eielson Visitor Center au pied du Denali depuis l'entrée du parc).
Néanmoins une petite partie (les 25 premiers kilomètres) de l'unique route sont en libre accès, ce dont on s'empresse de profiter dès notre premier soir sur place, à l'heure où les animaux se montrent.
C'est la période du rut pour les orignaux, il y a du spectacle !
Pour le camping ça a été un peu compliqué mais on a réussi à choper 3 nuits en dernière minute dans celui à l'entrée du parc (Riley Creek). Les vélos nous permettent de nous balader dans rayon suffisant pour atteindre les différents points d'information.
Et l'autre point pour lequel on ne voulait pas se louper vu son coût, c'est la journée de bus pour atteindre le pied du Denali. La montagne n'est pas dégagée tous les jours bien au contraire, rarement on aura autant étudié des prévisions météo !
Les randos dont les départs nous sont accessibles sans navette, ou alors en navette gratuite (celles qui font l'aller-retour jusqu'à Savage River) permettent de toutes façons d'attendre la bonne journée pour le périple jusqu'au Denali.
Savage Alpine Trail, un sentier qui grimpe sur les crêtes et que le système de navettes permet de ne faire qu'en aller simple entre deux arrêts...
Ou la courte Savage River Loop.
À noter que dans le parc du Denali la rando est illimitée, le lit des rivières et la toundra (bushwalking) offrant des terrains de jeu ne nécessitant pas de sentiers tracés, la navigation se faisant à vue.
Par ailleurs les rangers du parc organisent des marches accompagnées à travers ces espaces, par exemple dans le secteur de Toklat River.
Ça nous a tenté et l'on s'était inscrits, mais on avait trop tiré sur les jambes de la toute nouvelle junior ranger les jours précédents et l'on a dû annuler.
Et puis c'est le jour J, celui sur lequel on a tout misé (enfin environ 50 dollars chacun pour aller jusqu'à Eielson, il aurait été possible de pousser encore plus loin jusqu'à Wonder Lake, mais on estimait que 9 heures de bus sur une piste défoncée c'était déjà pas mal dans une seule journée !) avec une matinée prévue sunny...
Réveil à une heure indécente mais effort nécessaire pour attraper la première navette de la journée, celle de 6h30 qui donne a priori le plus de chances pour les animaux et surtout le Denali sans nuages.
Et quand on l'aperçoit depuis le début de la vallée, encore à 100 kilomètres de distance, on se dit qu'on a pas trop mal géré notre affaire !
La « mégafaune » est bien au rendez-vous : orignaux (en nombre incroyable dans la partie boisée au début de la route du parc)...
Caribous...
Et les fameux grizzlys du Denali (les conducteurs de bus disent en voir une petite dizaine chaque jour le long de leur parcours jusqu'à Eielson Visitor Center) !
On en verra en tout une grosse dizaine, principalement sur la seconde moitié du trajet, sans bien savoir si ceux aperçus sur le retour étaient les mêmes qu'à aller.
Les grizzlys du Denali ont une fourrure qui tire sur le blond !
« Polychrome Pass », la section de piste un peu rock'n roll où les bus ne peuvent pas se croiser...
Mais avec un point de vue fantastique sur les montagnes multicolores de l'autre côté de la vallée.
Et enfin au bout de 4 heures de trajet, les 6200m du Denali vus depuis Eielson Visitor Center, terminus de notre navette.
Mission accomplie !
On s'est prévu une petite rando jusqu'à un sommet voisin du haut duquel le panorama prend de l'ampleur (Alpine Trail).
Les nuages semblant commencer à monter de la vallée, on met la gomme pour grimper les 300m de dénivelé...
Un pika, genre de petit hamster des montagnes vivant dans les rocailles...
Mais le Denali est déjà pris par les nuages pour la photo au sommet de l'Alpine Trail, et on a une petite pensée pour les passagers des navettes suivantes...
Notre bus est reparti sans nous (ils ne font qu'une pause de 30 minutes à Eielson) et on doit donc se trouver trois places dans l'un des suivants, toutes les heures à peu près.
Pour ça il faut s'inscrire sur une liste d'attente, un ranger se chargeant d'attribuer les sièges restants dans chaque bus qui repart vers l'entrée du parc, les passagers venant de faire l'aller étant prioritaires pour repartir avec le même bus.
Le système est assez curieux, et il y a des petits malins qui s'inscrivent dès leur arrivée et partent faire leur rando, histoire d'être en tête de liste quand ils en reviennent.
Bref si l'on a joué le jeu et que l'on s'inscrit pour le retour que lorsqu'on est prêts à repartir, ça peut prendre pas mal de temps...
Le retour au camping en fin de journée nous laisse épuisés, mais quelle journée !
Et les stats officielles de nos rencontres dans le parc du Denali ont pris un sacré coup de boost !
Le parc national du Denali est hors normes, en dehors de la beauté de la montagne elle-même, quiconque y passe quelques jours se voit quasiment assuré d'y observer chacun des grands animaux de l'Alaska en se faisant promener en bus.
Mais il y a l'envers du décor, qui est une fréquentation conséquente et des infrastructures à l'entrée du parc qui peuvent dérouter dans un coin aussi perdu.
Et encore dans notre cas, heureusement qu'on y était à la toute fin de la saison (le parc ferme aux alentours de mi-septembre, à ce propos on a découvert que tous les ans pour la dernière journée la route du parc était ouverte à quelques centaines de chanceux, ayant gagné leur ticket à la loterie organisée en mai... si la météo est de la partie ça doit être extraordinaire).
Avant de quitter le Denali, on fait un petit crochet par Healy, à 20 kilomètres environ au nord de l'entrée du parc.
C'est ici (à l'extérieur de la brasserie 49th State) que se trouve la réplique du « Magic Bus » qui a servi pour le film Into The Wild. C'est aussi d'Healy que part la fameuse piste Stampede sur laquelle a été se paumer Chris McCandless.
Le vrai bus 142 est à environ 30 km en forêt sur cette ancienne piste de mineurs abandonnée depuis 50 ans et impraticable, d'où le fait que McCandless s'y soit trouvé quand même en pleine nature il y a 25 ans...
À l'intérieur du bus sont affichées les dernières photos prises par Chris McCandless avant de mourir, avec des extraits de son carnet. Le lieu ne peut pas laisser indifférent des voyageurs.
En revanche la 49th State Brewing Company elle-même... vraiment bof, pervertie par la proximité immédiate du parc national et l'afflux de touristes.
La suite de notre découverte de l'Alaska consiste désormais à rejoindre Anchorage un peu plus au sud, puis surtout la côte qui borde le Golfe d'Alaska avec ses fjords et ses glaciers qui tombent dans l'océan.
Quelques beaux points de vue sur le Denali (face à son versant sud cette fois) se trouvent le long de la route, en particulier dans le secteur du Denali State Park qui borde immédiatement au sud le National Park.
Mais un feu de forêt un peu plus loin embrume le ciel, la visibilité est smoky...
En regardant bien pourtant... le sommet du Denali dépasse de la couche de nuages.
Et depuis ce point de vue surplombant la Susitna River, on a pu observer aux jumelles un canidé alongé au bord de la rivière... avant de le voir bondir dans le courant pour en ressortir avec un poisson dans la gueule.
Alors pour la gloire, c'est un loup qui vient de pêcher un saumon à quelques centaines de mètres de nous dans une rivière perdue de l'Alaska !
Pour la science, on laisse le bénéfice du doute et 10% de chance à un gros coyote...
Ça nous trottait encore un peu dans la tête, une fois posés sur notre spot pour passer la nuit... quelques kilomètres plus loin au bord de la même rivière !
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